Le renouveau de l’autosurveillance glycémique

Dr Sylvie PICARD – Endocrino-diabétologue à Dijon

L’auteur a elle-même un diabète de type 1 depuis 1990, porte une pompe à insuline depuis 2006 et utilise la mesure en continu du glucose depuis 2014.

Pendant plusieurs années, les systèmes d’autosurveillance de la glycémie capillaire ont permis d’évaluer le profil glycémique des patients diabétiques. Or, pour refléter des épisodes d’hypoglycémies sévères ou évaluer la concentration du glucose tout au long du nycthémère, la mesure du glucose interstitiel améliore le suivi de l’équilibre glycémique.

Sur les plans technique et thérapeutique, la mesure en continu du glucose (MCG) est une révolution. Composés de capteurs, de lecteurs et d’alarmes, les systèmes MCG permettent d’adapter de manière ciblée le profil glycémique des patients insulinodépendants tout en en améliorant leur qualité de vie. Explications du Dr Sylvie Picard, endocrino-diabétologue.


Une longue histoire

Si vous êtes diabétique de type 1 (DT1) traité(e) par insuline depuis longtemps, vous avez peut-être connu les premiers lecteurs de glycémie dans les années 1980 avec lesquels la mesure prenait 50 secondes, nécessitait une grosse goutte de sang et imposait un essuyage voire un rinçage de la bandelette au signal sonore au cours des 50 secondes de la mesure. Et pourtant c’était déjà merveilleux par rapport à la détermination de la quantité de sucre dans les urines !…

Au cours des années 1990 puis 2000, les lecteurs se sont miniaturisés, la quantité de sang nécessaire à la mesure a diminué avec l’apparition de stylos autopiqueurs bien plus doux pour les doigts que les premiers outils et les « vieux » diabétiques sauront de quoi je parle… Le temps de mesure a progressivement été raccourci à 5 voire 3 secondes et dans les années 2000-2010 des systèmes connectés en Wifi à des tablettes ou smartphones ont vu le jour.

Mais la mesure ne restait qu’instantanée. Un résultat de glycémie capillaire (GC) donne uniquement une vision du chiffre de glycémie sans notion de l’évolution, de la tendance, sans historique. De fait, la réaction face à une GC à 85 mg/dl ne sera pas la même selon que la glycémie sera stable, en hausse ou en baisse. En outre, la mesure de GC reste (semi-) invasive avec nécessité d’obtenir une goutte de sang, donc de se piquer, ce qui en limite forcément la fréquence.

Depuis longtemps, le rêve de toute personne diabétique était de pouvoir disposer à tout moment de la valeur de sa glycémie, sans avoir à se piquer le bout du doigt. Les dispositifs de mesure en continu du glucose (MCG) ont été développés surtout depuis le milieu des années 2000 et ont atteint progressivement un tel niveau de fiabilité et de bénéfices prouvés que certains d’entre eux sont à présent remboursés (sous conditions).

De plus, l’arrivée sur le marché de nouvelles insulines ultra-rapides, très réactives, incite à surveiller de très près l’évolution des glycémies, ce qui est beaucoup plus facile à réaliser avec la MCG.

Comme avec tout système, l’utilisation de ces dispositifs suppose des indications à respecter, des précautions à prendre, des choix à faire. Le but de cette courte mise au point est de vous aider à faire ce choix avec votre endocrino-diabétologue ou avec le pédiatre-diabétologue de votre enfant.


On parle à présent de glucose interstitiel et non plus de glycémie

Ce qui est important, ce que l’on cherche à connaître, c’est la concentration de glucose au niveau de nos cellules cérébrales, musculaires, cardiaques… Cela suppose d’avoir accès à la mesure de la concentration de glucose dans le liquide interstitiel (glucose interstitiel = GI) qui est le liquide qui « baigne » nos cellules.

Dans les années 1980, on n‘avait pas accès au GI. Ce que l’on a trouvé de plus proche pour refléter le GI était la concentration de glucose dans le sang et les lecteurs de GC se sont ainsi développés. Si la GC et le GI sont extrêmement proches dans les périodes où la concentration de glucose reste stable, il existe obligatoirement un décalage entre les deux dans les périodes de montée ou baisse glycémique a fortiori si la variation est rapide. Ainsi, lorsqu’on mange, le glucose passe d’abord dans le sang puis progressivement dans le liquide interstitiel en traversant une « barrière » de cellules qui le freine, ce qui explique un certain retard à la montée du GI par rapport à la GC (approximativement 5 à 15 minutes). La plupart des systèmes possèdent des algorithmes (systèmes de calcul) qui corrigent partiellement cette différence mais elle persiste.

Après avoir utilisé la GC pendant toutes ces années faute d’avoir accès au GI, il paraît dommage de continuer à chercher à tout prix à se rattacher à ce qui se passe dans le sang maintenant que l’on a – enfin ! – accès au GI avec la MCG : il faut apprendre à raisonner avec le GI et peu importe le petit décalage avec la GC !

En revanche, il faut être particulièrement attentif lorsqu’on utilise un système avec des calibrations : il est nécessaire d’effectuer celles-ci dans des périodes de stabilité de la GC/du GI (nous reviendrons plus longuement sur ce point par la suite).

Il existe 2 types de systèmes de MCG

Le premier type de système qui est apparu vers la fin des années 2000 est un système nécessitant des calibrations mais possédant des alarmes. Les systèmes ont ensuite évolué avec les années, certains n’étant en revanche presque plus utilisés en France. Plus récemment (fin 2014) est apparu un système sans calibration mais sans alarme qui fournit les données uniquement lorsque le capteur est scanné avec un lecteur spécifique ou un téléphone.

Systèmes avec alarmes et calibrations :

Les avantages essentiels de ces systèmes sont qu’ils possèdent des alarmes de GI haut ou bas ou encore de vitesse rapide de hausse ou de baisse du GI. Ces alarmes sont réglables et leur mise en place doit se faire avec votre diabétologue. Il s’agit de systèmes particulièrement intéressants pour les personnes qui font des hypoglycémies sévères notamment nocturnes et/ou qui ne perçoivent pas leurs hypoglycémies. Les résultats de GI apparaissent selon les systèmes sur une pompe connectée ou sur un autre type de récepteur qui peut être un téléphone.

Mais ces systèmes nécessitent des calibrations, c’est à dire qu’il faut, au minimum toutes les 12 heures (et 2 heures après l’insertion du capteur), rentrer une valeur de GC dans le système pour ajuster les résultats. En fait, le capteur mesure une intensité de « courant » (que l’on peut comparer à un courant électrique). Le système a besoin pour rester performant de savoir régulièrement que « telle intensité correspond à tel GI ».

La valeur indiquée au système ne peut être qu’une GC. Or, on a vu que lors des périodes de hausse ou baisse du glucose a fortiori s’il s’agit d’une variation rapide, il peut y avoir une différence parfois importante entre GI et GC. Ainsi, lorsque la concentration de glucose augmente de 3 mg/dl/min après une prise alimentaire, la valeur changera de 30 mg/dl en 10 minutes, disons par exemple de 130 à 160 mg/dl. Compte tenu du décalage obligatoire d’environ 10 minutes entre GC et GI, le GI pourra encore être à 130 alors que la GC sera déjà à 160 mg/dl. Si l’on rentre la valeur de 160 mg/dl dans le système, en lui disant ainsi que l’intensité actuelle du « courant » correspond à 160 mg/dl (alors qu’en réalité le GI est à 130 mg/dl), on imagine facilement que la calibration posera problème et que les valeurs suivantes de GI seront moins fiables.

Il faut donc calibrer le capteur dans une période de stabilité glycémique et donc de préférence avant les repas. En pratique, la calibration s’effectue rarement 2 fois mais plutôt 3 fois par jour : si vous calibrez avant votre petit déjeuner à 06h00, il ne sera pas forcément facile de calibrer vers 17h30-18h00 : vous calibrerez donc plutôt avant le repas de midi et ensuite avant le repas du soir (pour ne pas avoir à calibrer vers minuit…). Il faut donc compter faire 3 mesures de GC quotidiennes.

Ceci est particulièrement important et les conditions de calibration représentent avec l’utilisation suffisante et adéquate du capteur et l’atteinte des objectifs (en termes d’équilibre glycémique et d’hypoglycémies sévères) des conditions nécessaires à la poursuite de l’utilisation et de la prise en charge des systèmes. Par ailleurs, il faut savoir que ces systèmes peuvent être pris en défaut en cas de prise de paracétamol qui interfère avec les mesures, aboutissant à de fausses valeurs (généralement trop hautes) de GI.

Système sans calibration et sans alarmes :

Dans ce système, la calibration est effectuée une fois pour toute en usine et le système peut être utilisé sans presque jamais faire de GC. Celles-ci restent néanmoins conseillées dans certaines circonstances rares. La mesure du GI avec ce système n’est pas influencée par la prise d’antalgique non opioïde.

Ce système est maintenant très largement utilisé en France. Il est particulièrement apprécié des enfants mais aussi des parents et des personnes s’occupant d’enfants diabétiques (grands-parents, enseignants) qui n’ont plus à réaliser de mesure de GC. Mais il est également particulièrement intéressant en cas de handicap visuel, l’application pouvant « lire » de façon sonore le résultat et rendre un peu de liberté et d’autonomie aux personnes diabétiques malvoyantes ou non voyantes.

De plus, ce système convient aussi bien aux personnes traitées par pompe qu’à celles sous multi-injections au stylo. Les décollements intempestifs de capteurs peuvent être prévenus par l’application sur une peau bien sèche et l’utilisation peut être optimisée avec d’autres astuces à discuter avec votre diabétologue et/ou équipe soignante.

En revanche, ce système ne possède pas d’alarmes et il est nécessaire de scanner très régulièrement le capteur avec le lecteur dédié ou un smartphone compatible. Le capteur est capable de stocker 8 heures de données mais il faut scanner beaucoup plus souvent pour utiliser le système de façon optimale et il a été montré que l’équilibre glycémique s’améliore lorsque le nombre de scans augmente. Même s’il n’existe pas d’alarmes, ce système permet de diminuer la fréquence des hypoglycémies à condition de scanner souvent, que l’on soit traité par pompe ou par multi-injections.

Remboursement :

Les systèmes faisant l’objet d’une prise en charge sont soumis à des conditions précises pour le remboursement : prescription spécialisée (en aucun cas une première prescription ne peut être faite par un médecin généraliste) voire ultraspécialisée pour les systèmes avec alarmes et calibrations, formation et évaluation dans tous les cas et maintien de certains systèmes sous conditions incluant l’utilisation adéquate et l’atteinte d’objectifs en termes d’équilibre glycémique et d’hypoglycémies sévères. 


Et maintenant…

Après l’ère de l’autosurveillance glycémique, nous sommes au début d’une nouvelle ère avec l’utilisation de la MCG et nous n’avons jamais été aussi proches de la boucle fermée et du pancréas artificiel !

On ne raisonne désormais plus en fonction de GC mais de données dynamiques de GI assorties de flèches de tendance qui ont une importance primordiale : une valeur de glucose doit être interprétée en fonction de l’historique et de la flèche de tendance.

L’utilisation des systèmes de MCG nécessite certaines règles pour en optimiser l’utilisation et impose un choix entre les différents systèmes qui ne peut se faire qu’avec votre endocrino-diabétologue ou le pédiatre-diabétologue de votre enfant. 

De même, il est important de vous « poser » régulièrement en téléchargeant vos résultats sur votre ordinateur et d’analyser ceux-ci en utilisant les logiciels spécifiques. Cela vous permettra d’identifier les problèmes éventuels et de les résoudre vous-même ou avec l’aide de votre diabétologue.

Nul doute que les choses continueront à évoluer rapidement ! Mais en attendant sachons apprécier et optimiser l’utilisation des systèmes à notre disposition !